« Nous espérons que l’Unesco prendra les mesures pour rendre possible le retour d'Israël dans l’organisation. »
Paris, le 14 juin 2019
Ce 15e concours annuel d’essais, coorganisé par le Centre Simon Wiesenthal-Europe (CSW), l’association Verbe et Lumière-Vigilance (VLV) et le Centre de recherche et d’éducation sur l’Holocauste (Russian Holocaust Centre, RHC), invite comme chaque année à Paris cinq étudiants lauréats, qui viennent présenter à l’Unesco les résultats de leurs recherches.
De gauche à droite, assis : Robert Créange, rescapé de l’Holocauste, Ilya Altman, Rabbi Delphine Horvilleur,
Stefania Giannini, François Picard, Francis Kalifat, Graciela Vaserman-Samuels ;
debout : Sheila Ryan, Amb. Massimo Riccardo, Olga Drozhzhina, Cécile Rivière, Gabriel Paulus,
Katharina Bonnenfant, Evgenii Vlasov, Karel Fracapane, Stéphane Teicher, Alexeiy Kovalenko,
Amb. Claudia Reinprecht, Amb. Alexander Kuznetsov, Alla Gerber, Shimon Samuels, Richard Odier,
Victoria Shestakova, Angelina Sudeikina, Alex Uberti, Evelyne Monas.
Cette année, les gagnants viennent de Moscou, Saint-Pétersbourg, Saratov et Kostroma ; le cinquième est un bénévole autrichien au RHC qui fait ses études à Vienne.
Assistaient à la cérémonie les délégations permanentes auprès de l’Unesco d’Autriche, France, Allemagne, Italie et Russie, ainsi que le président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France). Stefania Giannini, sous-directrice générale pour l’éducation à l’Unesco, a ouvert la séance.
Elle a défini l’Holocauste « comme un événement caractérisé par son unicité, qui nous enseigne comment une idéologie haineuse prend racine et contamine la société, et comment des institutions fragiles s’y soumettent ».
L’ambassadeur de Russie, Alexander Kuznetsov, a centré son discours sur la mémoire collective : « 2,7 millions de Juifs assassinés étaient des citoyens soviétiques, et 80 % de la machine de guerre allemande s’est battue contre l’Armée rouge, qui a fini par la détruire. »
Le président du CRIF, Francis Kalifat, a mis l’accent sur la Shoah « en tant que résultat de l’antisémitisme – une épidémie sociale… La lutte contre l’antisémitisme n’est pas un menu à la carte. C’est sous toutes ses formes que l’antisémitisme doit être contré ». Il a souligné « l’urgence de reconnaître que la haine d’Israël équivaut à la haine des Juifs ». Il a félicité la décision du président Macron d’adopter pour la France la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste.
Avec les lauréats devant le mur Yitzhak-Rabin, offert par Israël. Y est inscrit en dix langues,
dont l’hébreu, le préambule de l’acte constitutif de l’Unesco : « Les guerres prenant naissance
dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix. »
Alla Gerber, présidente du RHC, a observé que « l’Holocauste n’a pas été évoqué dans l’Union soviétique d’après-guerre : le prétendu ‘‘complot des médecins juifs’’ de Staline constitue une forme de génocide de la mémoire… Ce n’est qu’en 1992, après la pérestroïka et le retour à la démocratie, que nous avons commencé, à partir de zéro, à éduquer contre l’antisémitisme et à empêcher sa résurgence… Historiquement, l’Holocauste a principalement touché les Juifs, mais c’est une tragédie qui concerne l’humanité entière ».
Rabbi Delphine Horvilleur a discouru sur l’origine étymologique de midor ledor (« de génération en génération ») : « Lorsqu’on tresse un panier, les brins de corde sont liés les uns aux autres, chaque lien renforçant le nœud entre ce qui a été et ce qui sera… De génération en génération, la tradition juive tisse quelque chose de fort, même sur des bases affaiblies ou brisées. »
Elle a apporté son témoignage personnel : « J’ai grandi dans un monde de silence, car mes grands-parents rescapés vivaient assoupis dans une torpeur – comme s’ils faisaient partie d’une espèce menacée. Ils ne parlaient jamais de l’épreuve qu’ils avaient subie. J’ai cherché des réponses dans les livres sur l’Holocauste, imprégnée de l’écho de leur silence. Nous, la troisième génération, nous marchons dans une forêt de vies arrachées. Nous sommes les gardiens de leur mémoire. »
François Picard, présentateur sur la chaîne télévisée France 24, a rappelé l’époque où il avait rencontré pour la première fois Shimon Samuels : « C’était au cours du procès d’un collaborateur des nazis, procès qui avait levé le voile sur des crimes personnels et collectifs. Au même moment, le ‘‘jamais plus’’ se reproduisait au Rwanda. » Il a parlé d’histoires nouvelles qui apportent un éclairage sur le passé : « Une histoire a des jambes… Le récit autour de l’anniversaire du Débarquement diffère d’année en année. Il faut briser les chambres d’écho, comme nous le faisons avec cet exercice d’essais sur l’Holocauste. » « Qui dit génocide dit déshumanisation. Son antidote, c’est l’empathie », a-t-il souligné.
Shimon Samuels, le directeur des Relations internationales du Centre Wiesenthal, présidait la réunion. Il a évoqué un rassemblement, international et intergénérationnel, de rescapés de génocides (amérindien, arménien, juif, cambodgien, rwandais…), qui s’était tenu à Kigali, au Rwanda, quelques mois après le génocide. « Assis en cercle à la nuit tombante, chacun a raconté son histoire, celle d’une valise, celle d’une pomme de terre, etc. Il n’y avait pas d’ordre hiérarchique des souffrances, juste une parfaite empathie. »
L’oncle de François Picard, Robert Créange, qui a échappé enfant à la Shoah, est le fils d’un poète engagé dans la résistance intellectuelle contre le nazisme. Toute sa famille avait été raflée par la police française et détenue au Vel d’Hiv dans l’attente d’être déportée à Auschwitz. M. Créange a narré le sadisme de la police, qui avait coupé l’eau dans le stade, et le taux élevé de suicides parmi les détenus affamés.
Il a aussi relaté comment sa famille a réussi à fuir Paris et, alors qu’ils se rendaient dans le sud de la France, le sacrifice de ses parents qui a permis à sa sœur et à lui-même de s’échapper puis, finalement, de retrouver le seul autre rescapé de la famille, leur vieux grand-père, en 1946.
Ilya Altman, fondateur et coprésident du RHC, a expliqué qu’il avait même reçu des essais du Mexique, de Corée du Sud et du monde entier, mais pas encore de France. Il a exprimé l’espoir que d’importants efforts soient faits au niveau international pour sensibiliser les jeunes générations. Il a ensuite présenté les cinq lauréats, qui ont exposé le résumé de leurs travaux (voir le lien en fin de page).
- Olga Drozhzhina, étudiante en maîtrise à l’Université pédagogique d’État de Moscou (Russie) : « Réflexion sur l’Holocauste dans la littérature mondiale »
- Gabriel Paulus, étudiant à l’université de Vienne (Autriche) : « Le sort des Juifs autrichiens en Union soviétique (pendant l’occupation nazie) »
- Victoria Shestakova, étudiante en maîtrise à l’Université d’État de Saint-Pétersbourg (Russie) : « Le cinéma italien en tant que vecteur pour étudier la mémoire culturelle de l’Holocauste en Italie »
- Angelina Sudeikina, étudiante en droit à l’Académie d’État de Saratov (Russie) : « La responsabilité criminelle de la Fédération russe pour sa falsification de l’histoire de l’Holocauste »
- Evgenii Vlasov, étudiant à l’Université d’État de Kostroma (Russie) : « Comment les étudiants appréhendent l’Holocauste : une expérience de recherche sociologique dans la ville de Kostroma ».
L’ambassadrice d’Autriche, Claudia Reinprecht, a commenté son action à l’Unesco, en collaboration avec le Centre Wiesenthal, contre un char antisémite qui défilait au carnaval d’Alost, en Belgique. « Les Autrichiens ont perdu des voisins, des amis, des collègues dans l’Holocauste… C’est une grande perte pour l’humanité tout entière. Il est d’autant plus important d’être vigilant contre l’antisémitisme. »
L’ambassadeur d’Italie, Massimo Riccardo, a suggéré une approche éducative pour combattre l’antisémitisme, en se servant de tous les instruments culturels mis à disposition par l’Unesco.
Alexeiy Kovalenko, membre de la délégation russe, a mentionné « le monument à la résistance juive dans les camps et ghettos », inauguré le 4 juin à Moscou par le président Poutine, et comment « la délégation russe va continuer à faire office de porte-flambeau pour ce programme de lauréats, pour la mémoire des victimes et contre la normalisation de toutes formes de discrimination ».
Alla Gerber a ajouté : « Nous ne devons pas concentrer nos efforts uniquement sur ceux qui sont morts, mais nous devons surtout contrer l’indifférence à l’héroïsme en présence du mal, pour neutraliser les racines de la haine. »
Katharina Bonnenfant, membre de la délégation allemande, a qualifié les étudiants lauréats de « lumières face aux ténèbres ».
Stéphane Teicher, représentant du B’nai B’rith International, a surnommé le char de carnaval belge « une tolérance nouvelle de l’intolérance ».
Le président de Verbe et Lumière-Vigilance, Richard Odier, a conclu la réunion par une citation de Martin Luther King Jr : « Il faut combattre la haine de deux manières, par la justice et avec de l’empathie. » Il a dit sa satisfaction d’entendre parler l’hébreu dans une institution qu’Israël a quittée. « J’espère que l’Unesco prendra les mesures nécessaires pour rendre possible le retour d’Israël dans l'organisation. »
Résumés des essais (en anglais) : Students_reports_at_UNESCO_2019.pdf